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Le chauvinisme de M. Kérenski peut non seulemenl être comparé à celui de
M. Menchtchikov, mais encore il surpasse un réactionnaire de la trempe de M.
Markov, lorsqu'il invite le peuple russe à brûler de ce même feu le nationalisme qui
s'est emparé de nos jours des "separatists". Il faut bien faire remarquer à M.
Kérenski que, dans le cas présent, il ne saurait être question de "séparatisme", pas
plus que du "partage de la Russie"; ces expressions nous paraissent ici déplacées.
En effet, lorsque le peuple, se basant sur le principe élevé et juste du
démocratisme, a proclamé son indépendance et s'il a vécu, pendant un certain laps
de temps d'une vie libre, peut-on appeler "séparatisme" le fait de lutter pour se
libérer des forces étrangères qui occupent le pays afin de recouvrir l'indépendance
perdue. La Belgique n'est-elle pas pour nous un exemple des plus frappants pour
justifier notre thèse? Au cours de la grande guerre, la Belgique fut occupée par les
Allemands et le peuple belge lutta contre le pouvoir d'occupation. Est-ce qu'il se
serait trouvé quelqu'un pouvant désigner cette lutte du peuple belge sous le nom de
"séparatisme" la lutte pour l'indépendance que soutiennent contre la Russie des
pays comme la George, l'Azerbaïdjan, l'Ukraine?.. Il fut un temps où M. Kérenski
se serait bien gardé de considérer comme événement négatif la lutte pou r
l'indépendance soutenue par la Tchécoslovaquie et les Croates contre l'Autriche.
Pourquoi donc aujourd'hui la lutte des peuples du Caucase, du Turkestan, de
Kazan, de Crimée, etc., etc., pour leur indépendance, doit-elle être considérée par
les Kérenski comme un événement négatif de "séparatisme"?
Nous persistons donc à dire que ce n'est point là du séparatisme, mais une
lutte pour l'indépendance; personne ne songe à partager la Russie; au contraire, la
Russie doit conserver son territoire dans les limites nationales. A cette Russie nous
désirons progrès et richesses. Les Kérenski ne peuvent pas comprendre que le fait
pour le Caucase de passer aux Géorgiens, aux Montagnards, aux Azerbaïdjaniens,
l'Ukraine aux Ukrainiens et le Turkestan aux Turkestaniens ne peut être considéré
comme un partage de la Russie... Seules les personnes qui n'ont pu jusqu'à présent
s'affranchir de l'idée de domination de la Russie sur les autres nationalités peuvent
ainsi raisonner. Il est certain que chacun est libre de raisonner à sa manière, l'on ne
saurait l'empêcher à quiconque. N'a-t-on pas vu des gens raisonner de la sorte? des
gens qui aspirent encore à faire revivre l'impérialisme russe déjà effondré? Fort
bien!.. Mais au moins qu'ils fassent preuve de plus de justice dans leurs
raisonnements. Ils parlent de kémalisme et on lui attribue une politique agressive.
Or, que voyons-nous en réalité? Le kémalisme, en général, a renoncé à tous les
territoires ottomans, exception faite des terres incluses dans le "pacte national": il
s'est incliné devant une nécessité historique. Attribuer au kémalisme un
panturquisme agressif, c'est amener de l'eau au moulin du "panrussisme". Ce n'est
pas autre chose qu'un plan habilement combiné. Le fait que le turquisme réaliste