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Les affirmations de M. Tchitchérine, d'après lesquelles le gouvernement
soviétique n'aurait absolument rien su de la révolution soviétique de Canton, ne
peuvent satisfaire personne. Avant même qu'arrivât à
Moscou la nouvelle concernant la répression par les nationalistes chinois du
mouvement révolutionnaire de Canton, le journal Pravda publiait en première page
un appel du Comité exécutif de la III Internationale adressé aux travailleurs du
monde entier. Dans cet appel, lancé à l'occasion de l'anniversaire de la grande
révolution chinoise, on félicitait les travailleurs révolutionnaires universels et l'on y
annonçait que le gouvernement soviétique, isolé parmi les puissances bourgeoises,
trouvait un appui effectif dans cette révolution. Conséquemment, on invitait les
masses populaires de l'Union soviétique et surtout les ouvriers et paysans du
monde entier, à venir au secours des héros chinois.
Il n'est pas de nation orientale, désireuse d'empêcher la propagande
communiste de se développer chez elle, et résolue de mener la lutte pour son
indépendance nationale en toute liberté, en dehors de toute protection et tutelle, qui
ne puisse être assurée qu'à la première occasion, elle ne soit l'objet d'un tel appel.
Ceux qui croient que, du fait même que leur pays est agricole et de petites
propriétés, qu'il ne possède qu'une industrie fort peu développée, conséquemment
sans prolétariat, n'a pas à redouter la propagande communiste, commettent une
grave erreur. Car le socialisme surgissant spontanément à la suite du
développement naturel d'un pays, par suite de l'apparition du prolétariat, de
l'agrandissement des villes, de la concentration des capitaux, de l'industrialisation
de l'agriculture, obligé qu'il est de revendiquer ses droits est autre chose que le
communiste du type russe.
Si, en réalite, le communisme devait être considéré comme étant le produit
d'un pays industriellement développé, il devrait dans ce cas apparaître, non pas en
Russie, mais en Europe ou en Amérique. On sait que, parmi les Etats européens, la
Russie est le pays le moins développé industriellement; un pays dont les 85 % de la
population sont des paysans. Or, nous voyons que les pays les plus exposés en
Europe à la révolution communiste sont justement ceux qui sont le moins
industriels. L'Allemagne elle-même, pays des plus industriels qu'il soit, est
considéré, malgré la défaite subie pendant la guerre, comme étant celui où le parti
socialiste est plus fort que partout ailleurs. Cela ne l'a pas empêchée de se défendre
du communisme. L'on n'ignore pas que, parmi les facteurs qui ont sauvé
l'Allemagne du communisme, se trouvaient des social-démocrates allemands,
lesquels cependant avaient une éducation conçue dans l'esprit du marxisme. On ne
saurait trouver d'adversaire plus acharné du bolchévisme que le théoricien Kautski.
Le bolchévisme, au lieu d'être une école européenne, ainsi que se l'imagine le