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prit ici l'aspect d'une lutte furieuse du pouvoir central avec l'idée nationale
régionale et servit de prodrome à l'"épuration" qui attendait le Caucase.
Dès le début de janvier 1937, le journal Le Travailleur de Bakou (8.1.37, n
5) annonçait la découverte dans les écoles de toute une série "d'agissements
souterrains", travaillant au profit de l'opposition nationale. A la tête de ce
mouvement se trouvait le professeur azerbeydjanien Talubli, de l'Institut supérieur
d'Agriculture. Le journal s'indignait de la faiblesse qu'avaient montré les organes
du Parti (communiste) en tolérant que des "moussavatistes", "ces agents du
fascisme international", aient pris de l'influence parmi des membres du parti et les
aient attirés à leur suite vers la "déviation nationale", elle-même suppôt du
"moussa-vatisme". En même temps le journal publiait la liste des collaborateurs de
Talubli.
L'épuration ainsi annoncée bat son plein actuellement et ne s'arrête pas
devant des dirigeants bolcheviks locaux qui, dès le début de l'occupation du pays
par Moscou, avaient été les propagandistes les plus fervents des idées communistes
et ses organisateurs dans les sphères politiques, économiques et culturelles de la
vie du pays.
Toute cette agitation culmina dans le discours officiel que prononça le chef
de l'Etat soviétique d'Azerbeydjan au cours du 9
e
Congrès des Soviets. D'après le
journal Le Travailleur de Bakou, Rakhmanoff, au cours d'un exposé officiel sur la
nouvelle constitution, se répandit en de furieuses attaques de haine contre le parti
"Moussavat", qui avait osé arracher l'Azerbeydjan à l'Empire russe et proclamer
son indépendance le 28 mai 1918. Il considérait ce jour comme l'événement le plus
sombre dans l'histoire du pays, et l'histoire du parti "Moussavat" comme une série
ininterrompue de trahisons.
Mais ce n'est pas la "trahison historique du parti" qui faisait éclater la fureur
de ces hommes si étrangers au pays, mais la terreur que leur inspirait la force
indomptable du sentiment national, sentiment s'ampli-fiant et s'étendant tous les
jours, plongeant ses racines dans le sol sacré de la terre des ancêtres, s'abreuvant
aux sources de l'idée moussavatiste.
Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution soviétique les
bolcheviks ont remplacé l'injure "d'ennemi de classe" par "ennemi du peuple". Ce
terme sert à désigner, en Russie proprement dite, les adversaires de la personne de
Staline et de son régime personnel, soit les "trotzkistes" et autres éléments de
l'opposition, issus de la révolution bolchévike (d'octobre).
Par contre, dans les républiques fédérales des nationalités non-russe, ce
même terme a non seulement un sens anti-stalinien mais implique le sens d'anti-
russe et de national. Il est appliqué à toute personne soupçonnée d'éprouver les
sentiments naturels envers son peuple — ceci est qualifié de "déviation nationale"